Nommé par le président de la République le 4 mai, puis présenté aux acteurs économiques du département le 28 mai, Gérard Cascino est le commissaire à la réindustrialisation pour la région Rhône-Alpes. Il concentre tous ses efforts sur la vallée de l’Arve en Haute-Savoie.
Comment a réagi la vallée de l’Arve devant une telle baisse d’activité, et de manière aussi brutale ?
D’abord, à ce jour, la crise elle est toujours là et bien là. Premier constat : elle est arrivée dans la vallée de l’Arve plus vite qu’ailleurs. Mais j’ai rencontré des chefs d’entreprise qui ont du battant et qui continuent d’en avoir, malgré l’intensité de cette crise. Deuxième constat : l’unanimité absolue de la part des patrons comme des salariés, mais aussi des élus, de la réactivité des services de l’État pour faire jouer tous les amortisseurs économiques et sociaux qui auront permis de tenir la tête hors de l’eau.
Seulement voilà, la crise elle dure. Et déjà depuis presque un an. Malgré le frémissement d’une reprise ces dernières semaines, les effets de la crise pourraient être plus compliqués en septembre, voire même au-delà. Sans vouloir jouer à se faire peur, si cela devait durer encore plus longtemps, on ne pourrait plus maintenir d’une façon permanente une économie locale sous perfusion.
Les décolleteurs ne doivent plus jouer sur l’individualisme
Vous avez eu le temps de vous immerger dans cette industrie si particulière. Qu’est ce qui ressort de vos premières visites d’usines ?
On est sur des productions d’une qualité exceptionnelle. On est dans le domaine de l’excellence. Mais c’est peut-être une industrie qui n’a pas été assez valorisée et du coup qui manque de notoriété.
Des entreprises victimes de leur statut de sous-traitant…
C’est une industrie qui souffre de la tyrannie de l’acheteur. Car les interlocuteurs des décolleteurs, finalement, ce ne sont pas les donneurs d’ordre mais leurs acheteurs. C’est donc une relation qui se base sur une stratégie d’achat par la négociation au moins-disant. Cette approche-là est encore dominante chez leurs clients. Nous sommes sur des conditions générales d’achat et non sur des conditions générales de ventes. À mon avis, c’est un problème majeur qui n’est pas sans effet sur la performance des entreprises.
Justement, comment rendre nos industries encore plus performantes ?
Les entreprises de décolletage ont besoin à la fois d’être compétitives, productives et rentables. Une compétitivité par le coût et le prix. C’est le fameux triptyque prix-qualité-délai qui permet d’être dans une logique de développement. Mais il faut davantage s’orienter vers de la coconception. Une logique d’assembliers. Pour cela, les donneurs d’ordre doivent considérer leur sous-traitant comme des partenaires. Et plus localement, les décolleteurs ne doivent plus jouer sur l’individualisme. Si c’était une force dans la vallée de l’Arve avant, cela ne l’est plus aujourd’hui. Au contraire, c’est même une faiblesse. Le concurrent est loin mais il est à un clic d’une souris, et pourtant l’on continue de se méfier de son voisin. Il faut jouer collectif. À ce sujet, je souhaite que l’on fasse un diagnostic et qu’il y ait un débat prospectif derrière.
Pour ce qui est de la productivité, les constructeurs automobiles sont très exigeants là-dessus, pour des questions de délais de livraison, de réactivités de la part de leur fournisseur. C’est le zéro stock chez les donneurs d’ordre. Cela contraint les sous-traitants à être dans une logique de gros investissements. Pas seulement sur les machines-outils mais aussi sur les compétences. Il faut investir simultanément dans l’équipement de production et les ressources humaines. Ce n’est plus seulement sur les temps unitaires de production (le temps qu’il faut pour usiner une pièce, Ndlr) qu’il faut travailler, mais aussi sur les temps connexes. C’est-à-dire les temps de réglage des machines en amont, et ceux liés à la logistique, en aval.
Il reste des gisements de productivité
C’est temps-là sont importants car c’est ici qu’il reste encore des gisements de productivité. Le SNDEC, CTDEC, OSST*, le pôle de compétitivité peuvent être des outils précieux pour aider les entreprises à améliorer leur productivité sur ces temps connexes.
Quant à la rentabilité, il ne faut pas que ce soit un gros mot. Le retour sur investissement est un vrai sujet. Nous avons la chance et la force d’être sur un territoire qui est fait d’entrepreneurs au sens noble du terme. Il faut conforter cet esprit entrepreneurial.
La vallée du décolletage va être confrontée à une autre difficulté, celle de la transmission d’entreprise…
En effet, avec le vieillissement des chefs d’entreprise, la transmission du patrimoine industriel est un vrai sujet auquel il faut s’attaquer. Mais comment valoriser ce patrimoine ? Qu’est-ce qui fait sa valeur ? Une entreprise de décolletage, ce n’est pas seulement un parc de machines-outils. Elle détient aussi une valeur immatérielle. Son capital humain comme le capital lié à la personne même du dirigeant. Mais alors comment rendre palpable ce patrimoine-là ?
Vous semblez également très attaché à l’aménagement du territoire. Un levier sur lequel vous comptez agir dans votre mission ?
La vallée de l’Arve a aussi besoin d’un projet politique au niveau du territoire. Ne pas faire du suivisme mais se donner une ambition à la fois économique, politique et culturelle. Si le pôle de compétitivité pousse les entreprises vers l’excellence, il leur faudra recruter des cadres de haut niveau. Si nous avons un cadre touristique idéal pour les faire venir, cela suppose aussi de leur apporter un certain nombre de fonctions avancées, de services.
La vallée de l’Arve ce n’est pas que les décolleteurs, c’est aussi une forte concentration de fournisseurs…
A ce sujet il faut que le Syndicat national du décolletage continue de travailler sur ses métiers connexes. Je pense aux entreprises de traitement de surface, traitement thermique mais aussi les fournisseurs de machines-outils, d’outils coupants…
Et d’organismes qui accompagnent les décolleteurs au quotidien…
Le SNDEC, l’OSST, le CTDEC, la CGPME, le Medef, le pôle de compétitivité Arve-Industries sont tous des outils utiles pour les industriels. Mais il faudrait un guichet unique. L’intérêt de cotiser aurait plus de crédibilité aux yeux des chefs d’entreprise en ayant accès à toute une gamme de services combinés. Cela rendrait ces structures plus légitimes et cohérentes.
Vous êtes très attaché aux compétences humaines qui continuent de faire la force des entreprises. Et les syndicats dans tout ça ?
Il faut que l’on rénove et amplifie le dialogue social dans la vallée de l’Arve. Nous avons besoin de dialoguer à parité. Ne pas faire du face à face, mais plutôt du côte à côte. Construire une solution gagnant-gagnant. Aussi, il faudra prendre des habitudes de dialogue permanent en créant des tours de table entre syndicats patronaux et de salariés.
Je cavale beaucoup dans la vallée
Vous avez été convoqué le 30 juin à Paris avec les huit autres commissaires régionaux par le nouveau ministre chargé de l’Industrie Christian Estrosi…
J’ai rencontré un ministre qui connaissait parfaitement la situation, y compris celle de la vallée de l’Arve. De plus, il se trouve que je connais très bien son directeur de cabinet, Jean-Michel Drevet, préfet du Vaucluse. Si Christian Estrosi a souhaité nous rencontrer, dès son arrivée au gouvernement, c’est qu’il considère que l’on sera quelque part l’un des éléments de sa propre réussite.
Il a aussi parlé de commandos de la réindustrialisation. Vos commentaires ?
Commandos, pour moi cela signifie que l’on doit rester des hommes de terrain. Que nous sommes là pour construire des solutions qui soient adaptées au terrain.
Un travail de proximité en somme…
Vous savez je cavale beaucoup dans la vallée.
Quels sont vos dossiers les plus urgents ?
Je travaille actuellement sur la mise en place du CTP (contrat de transition professionnelle) dans la vallée de l’Arve. Aurons-nous suffisamment de personnel au Pôle emploi pour y faire face ? Mon rôle étant de m’assurer que cette mesure fonctionne bien sûr le terrain. Le FNRT (Fonds national de revitalisation des territoires) est un autre dossier que je vais suivre de très près. Sinon, je viens de transmettre un premier rapport au préfet de région qui comprend à peu près tout ce que je vous ai dit au cours de cet entretien, avec quelques préconisations qui pourraient être mes futures actions.
*Syndicat national du décolletage, Centre technique de l’industrie du décolletage, Observatoire stratégique de la sous-traitance.
CASCINO GERARD
Un expert dans le monde du travail
Avant de rejoindre la vallée de l’Arve et son siège de commissaire à la réindustrialisation à la sous-préfecture de Bonneville en Haute-Savoie, le 28 mai dernier, Gérard Cascino était en poste dans la région Provence-Alpes-Côté d’Azur. Il occupait depuis 2007 le siège de directeur régional du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP). La fonction même qu’il exerçait en Picardie de 2003 à 2006. Cet homme de 57 ans, né en Tunisie, a commencé sa carrière en 1979 en tant que contrôleur puis inspecteur du travail. En 1994, il coordonne les actions régionales pour l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, au sein de laquelle il sera nommé en 1997 chef du département « innovation technologique et travail ». Puis c’est en région Aquitaine qu’il débutera sa carrière à la tête des antennes de la DRTEFP en 2000.
Propos recueilli par J.MEYRAND de la revue Décolletage et Industrie