Choc de Titan(s)
Dans un courrier incendiaire daté du 8 février et adressé au ministre du Redressement productif qui lui demandait en vain de revenir à la table des négociations, le PDG de Titan International raille « les soi-disant ouvriers » de l'usine Goodyear d'Amiens-Nord : « Goodyear a essayé pendant plus de quatre ans de sauver une partie des emplois à Amiens, qui sont parmi les mieux payés, mais les syndicats et le gouvernement français n'ont fait rien d'autre que de discuter (...). J'ai visité cette usine plusieurs fois. Les salariés français touchent des salaires élevés mais ne travaillent que trois heures. Ils ont une heure pour leurs pauses et leur déjeuner, discutent pendant trois heures et travaillent trois heures. Je l'ai dit en face aux syndicalistes français. Ils m'ont répondu que c'était comme ça en France (...) ! Monsieur, votre lettre signale que vous voulez que Titan démarre une discussion. Vous pensez que nous sommes si stupides que ça ? Titan est celui qui a l'argent et le savoir-faire pour produire des pneus. Qu'a le syndicat fou ? Il a le gouvernement français. Le fermier français veut des pneus pas chers. Il se moque de savoir s'ils viennent de Chine ou d'Inde. Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins d'un euro l'heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin ». Au passage, il affirme que « dans cinq ans, Michelin ne pourra plus produire de pneus en France ». Interrogé, suite à la publication de sa lettre, par l'AFP et Les Echos, il prédit la fin prochaine de l'industrie française, affirme que le pays finira « comme la Grèce, c'est une question de temps » et fustige l'attitude de ce gouvernement d'« imbéciles » qui « autorise les importations de pneus chinois moins chers mais n'a pas le droit d'exporter de pneus en Chine. Bientôt, en France il n'y aura plus d'emplois et tout le monde passera la journée assis dans les cafés à boire du vin rouge »...
Pour l'un des représentants CGT de Goodyear, cette lettre « vient d'un déficient mental ». Ce candidat malheureux aux primaires républicaines de 1996 est connu pour ses propositions démagogiques, provocations et autres spots TV outranciers. « Tout en finesse, relève LeParisien.fr, il proposait notamment de réduire d'un tiers les effectifs des fonctionnaires » américains avant de suggérer la suppression de tous les postes d'ambassadeurs qu'il juge inutiles à l'ère du numérique. Comme quoi la diplomatie n'est résolument pas sa tasse de thé. Pour UsineNouvelle.com, « avec sa lettre caricaturale, [il] donne raison, sans le vouloir, à la CGT de l'usine Goodyear d'Amiens-Nord, qui s'oppose depuis trois ans à une reprise par Titan de l'activité de fabrication de pneus agricoles ».
Alors que Najat Vallaud-Belkacem, la porte-parole du gouvernement, a estimé qu'il n'y avait « pas lieu de faire de surenchère », Arnaud Montebourg, qui refusait dans un premier temps de commenter cette lettre pour ne « pas nuire aux intérêts de la France », a très vite changé d'avis. Sur deux pages publiées mercredi soir, il défend le système productif français, rappelant au businessman les relations économiques privilégiées entre nos deux pays, fortes d'une présence « très ancienne » de nombreuses entreprises américaines dans l'Hexagone : « loin de vos propos aussi ridicules que désobligeants, l'ensemble de ces entreprises connaît et apprécie la qualité et la productivité de la main d'œuvre française, l'engagement, le savoir-faire, le talent et les compétences des travailleurs français ». Concernant Michelin, il réplique : « puis-je vous rappeler que Titan, l'entreprise que vous dirigez, est 20 fois plus petite que (...) notre leader technologique français à rayonnement international, et 35 fois moins rentable ? C'est dire à quel point Titan aurait pu apprendre et gagner énormément d'une implantation française ». Il termine par une menace : « soyez assuré de pouvoir compter sur moi pour faire surveiller par les services compétents du gouvernement français avec un zèle redoublé vos pneus d'importation. Ils veilleront tout particulièrement au respect des normes applicables en matières sociale, environnementale et technique » (Les Echos, Le Parisien.fr, UsineNouvelle.com et LaTribune.fr des 20 et 21/02).
Edité par l'équipe du MIDEST