Les faits. La semaine a de nouveau été riche en péripéties. Trois responsables de la sécurité du constructeur chargés de l’enquête et qui refusaient toujours de dévoiler leur source ont en effet été placés en garde à vue en fin de semaine dernière. Au terme de cette procédure, deux d’entre eux ont été remis en liberté sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. Mais le troisième, Dominique Gevrey, qui avait été interpellé vendredi alors qu’il s’apprêtait à prendre un avion pour la Guinée « sans aucune raison professionnelle », a précisé l’avocat de Renault, a été déféré dimanche au parquet de Paris et incarcéré. Le parquet a ouvert, dans la foulée, une enquête pour « escroquerie en bande organisée », confiée à un juge d’instruction.
Lundi, le procureur de Paris a expliqué, lors d’une conférence de presse, que la thèse de l’espionnage industriel était sérieusement remise en cause par l’enquête. Pointant du doigt de nombreuses « incohérences » et expliquant que « les comptes bancaires imputés aux cadres » accusés et licenciés « n’existent pas », il a affirmé que le constructeur avait déjà remis « 310 000 euros et devait encore payer 390 000 euros pour ces faux renseignements ». Tous ces éléments ont donc « permis (…) de renoncer à un certain nombre d’hypothèses, notamment à celle qui était avancée dans la plainte initiale de la société Renault ». Dans son édition de mercredi, Le Canard Enchaîné a affirmé que 120 000 de ces 310 000 euros destinés à rémunérer le supposé informateur ont été retrouvés en Suisse sur un compte au nom de… Dominique Gevrey.
Suite à ces révélations, le constructeur a présenté le jour-même, dans un communiqué, ses « excuses » aux employés « mis en cause à tort ». Dans ce texte, le PDG Carlos Ghosn et le directeur général délégué Patrick Pélata « s’engagent à ce que réparation soit apportée aux trois cadres concernés et que leur honneur soit restauré aux yeux de tous, en tenant compte du grave préjudice humain qu’eux et leur famille ont subi ». M. Ghosn a indiqué avoir refusé la démission de M. Pélata pour ne « pas rajouter une crise dans la crise ». Les deux hommes ont annoncé, au terme d’un conseil d’administration exceptionnel, renoncer à leurs bonus pour 2010, ainsi qu’à tout bénéfice de stock-options pour 2011 (pour ceux d’entre vous qui s’inquièteraient, rappelons que Carlos Ghosn était en 2009 le patron le mieux payé du CAC 40, avec une rémunération totale de 9,2 millions d’euros). Invité le soir même du 20 heures de TF1, le PDG, qui clamait au début de l’affaire « croyez-moi, nous ne sommes pas des amateurs », a affirmé : « je me suis trompé, nous nous sommes trompés mais, d’après les conclusions du procureur de la République, nous avons été trompés ». Quant à sa démission, il estime que la question ne se pose pas, « le conseil d’administration [ayant] approuvé à l’unanimité son plan d’action ».
Les réactions. Sans surprise, les politiques, de quelque bord que ce soit, ont été aussi prompts à se scandaliser de « l’amateurisme » du constructeur qu’ils l’avaient été, en janvier, à dénoncer l’odieux espionnage industriel dont il était sensé faire l’objet. Mardi, le ministre chargé de l’Industrie Eric Besson a ainsi indiqué que les excuses publiques du PDG ne constituaient pas « la fin de cette histoire (…). Il y a un audit interne par une personnalité externe qui a été demandé, diligenté, et qui va permettre de connaître les responsabilités exactes dans l’entreprise ». François Baroin, ministre du budget et porte-parole du gouvernement, s’est également empressé de dénoncer « l’amateurisme invraisemblable » du constructeur dans cette affaire : « on ne pourra pas laisser cela sans suite (…). Je trouve anormal qu’une immense entreprise comme celle-ci ait basculé dans un amateurisme et une affaire de Bibi Fricotin et de barbouze de troisième division ». Avant d’estimer que la décision de M. Ghosn de renoncer à ses bonus et stock-options était « la moindre des choses ». Pour la première secrétaire du PS, Martine Aubry, « quand un salarié (…) fait une faute dans une entreprise, il n’a pas à s’excuser, il est dehors. Alors moi, je dis simplement que Carlos Ghosn doit en tirer un peu plus de conséquences ».
Du côté des syndicats, Sud s’est, comme souvent, montré le plus virulent : « si quelqu’un doit payer, ce sont les responsables de Renault ». En revanche, tout en dénonçant « l’arrogance, la suffisance et le dogmatisme » des dirigeants, la CGT s’est refusé à réclamer leur démission. Pour la CFE-CGC, « ce n’est pas le moment de faire tomber des têtes (…), on veut en connaître un peu plus sur le fond de l’affaire ». Même son de cloche à la CFDT : « décapiter l’entreprise ne ferait qu’ajouter une difficulté sur la pile, sans apporter de solution aux dysfonctionnements révélés par cette affaire ». Tous s’accordent néanmoins à exiger une réforme complète du mode de gouvernance et plus d’humilité de la part des dirigeants pour espérer réparer les dégâts en interne (UsineNouvelle.com, LeParisien.fr, E24.fr, LeMonde.fr, 20Minutes.fr, Liberation.fr, Les Echos, NouvelObs.com, LeFigaro.fr, 20Minutes.fr et LExpress.fr des 11, 12, 13, 14 et 15/03).
Les analyses. Dans son éditorial du 15 mars paru dans UsineNouvelle.com, Thibaut de Jaegher choisit de se montrer optimiste : « cette rocambolesque histoire peut être également une chance pour le constructeur. Paradoxalement, elle pourrait lui permettre de se réinventer. Mise en minorité au sein de l’alliance avec Nissan par un plan produit raté et des ventes décevantes, embarquée dans le pari risqué de la voiture électrique comme aucun constructeur sur la planète, la marque au losange pourrait puiser dans cette crise les ressorts nécessaires à son indispensable refondation. Cette relance passe d’abord et avant tout par les hommes et les femmes, techniciens ou ingénieurs, qui quotidiennement font avancer l’entreprise. Auprès d’eux, le top management devra reconstruire la confiance (…). Cette résilience ne se fera qu’au prix du dialogue et de la transparence ». Mais, souligne-t-il, « la question est de savoir si les dirigeants actuels ont conservé suffisamment de crédit en interne pour mener à bien ce travail ».
Le ton de David Barroux dans son éditorial paru dans Les Echos du 16 mars est plus mordant. Tout en défendant le maintien de Carlos Ghosn à son poste, le journaliste renvoie dos à dos tous les acteurs de ce drame tragi-comique : « une entreprise qui licencie trois salariés sur de simples présomptions de culpabilité ne reposant sur rien de solide ne devrait-elle pas être cohérente et pousser vers la sortie un PDG coupable d’une faute totalement reconnue ? Le conseil d’administration de Renault, en conservant toute sa confiance à Carlos Ghosn, a jugé que non. Moralement, la position des administrateurs de Renault choque. Elle nourrira le sentiment de cassure existant entre la France du bas et ces élites. Dans ce monde du ‘deux poids, deux mesures’, l’image des patrons ne ressort pas grandie.
Le fait que des ministres jurent ensuite que ‘cette affaire n’en restera pas là’ ne dédouane guère plus l’exécutif. Premier actionnaire de Renault, l’Etat avait les moyens de pousser Carlos Ghosn vers la sortie. Ses représentants au sein du Conseil l’ont soutenu. L’Etat doit assumer ce choix et non se lancer dans une opération de communication purement démagogique. Car si le Conseil a refusé une solution radicale, c’est peut-être qu’il estimait que la faute n’était pas si lourde. Aveuglé, le management s’est trompé. Carlos Ghosn a prouvé qu’il était un piètre détective, qu’il s’entourait parfois mal. Il n’a pas mis en péril Renault. Chez Toyota, en dépit du rappel de 19 millions de voitures, le PDG n’a pas changé ! On ne règle pas tous les problèmes en exigeant que des têtes tombent. Et ce n’est pas parce qu’on s’est débarrassé trop vite de salariés, qu’il faut sacrifier un patron. Surtout, au moment où la terrible catastrophe qui frappe le Japon menace Nissan, dont Renault est le premier actionnaire et Carlos Ghosn le patron, pousser à la démission ce manager aurait ajouté une crise à la crise. Cela aurait déstabilisé Nissan et fragilisé l’union, instable mais efficace qui lie ce tandem franco-japonais de l’automobile. Encore utile, Carlos Ghosn a néanmoins commis une nouvelle erreur. Pour expier sa faute, il a renoncé à son ‘bonus Renault’, soit 1,6 million d’euros. Un sacrifice inférieur aux indemnités que toucheront les trois licenciés ! S’il avait voulu reconstruire sa légitimité et se donner les moyens d’imposer demain d’éventuels choix douloureux aux salariés de Renault, samouraï Ghosn aurait dû faire preuve d’un sens plus poussé du sacrifice. Il aurait pu renoncer également à son ‘bonus Nissan’, trois ou quatre fois plus élevé. Car l’honneur d’un samouraï n’est pas de se contenter d’une demi-mesure symbolique ».
Le N°1 mondial des salons de sous-traitance industrielle