Il est bien loin le temps où le décolletage ne vivait que pour l’horlogerie. Depuis la fin du 17ème siècle, un long chemin a été parcouru par la profession. Mais ici nous nous intéresserons seulement à l’évolution spectaculaire du métier de décolleteur depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Après ce conflit, l’industrie française est à reconstruire. Le décolletage y participe fortement, malgré la pénurie de matières premières. Les entreprises s’endettent pour acheter de nouvelles machines et remplacer les anciennes mises à mal depuis 1940. Au prix de durs efforts, les carnets de commandes sont de nouveaux remplis en 1954. C’est également au cours de cette phase de reconstruction que le décolletage en Haute-Savoie connaît le plus grand essor.
Puis, la profession entre de plain-pied dans les fameuses « Trente Glorieuses », années de grande prospérité que connut la France. C’est aussi à cette époque (plus précisément lors de la foire de la Roche-sur-Foron en 1954) que naît l’idée d’un salon du décolletage. Ce dernier commencera avec seulement deux machines exposées, mais il évoluera en même temps que la profession, et reflètera en permanence l’état de l’activité.
Les outils présentés sont sans cesse renouvelés par une activité toujours à la recherche de la perfection. Afin de rester compétitives, les entreprises n’hésitent pas à réinvestir les bénéfices dans leurs sociétés, notamment pour moderniser le parc machines. La pratique de l’autofinancement restera longtemps une des forces du décolletage dans la vallée de l’Arve.
Un des tournants majeurs pour cette industrie interviendra avec l’approvisionnement du secteur de l’automobile dans les années 70. Le potentiel est énorme et présage un avenir florissant. A cette époque, la concurrence européenne due à l’ouverture du marché commun ne se fait pas ressentir puisque pratiquement toutes les entreprises sont focalisées sur le marché français. Seules quelques grandes structures se forment et sont armées pour affronter l’international. Il faudra attendre le début des années 70 et des décisions politiques pour voir la majorité des entreprises se tourner vers l’exportation.
Cette stratégie intervient alors que le pays est sur le point d’entrer dans une phase de ralentissement économique. Après le premier choc pétrolier de 1973, le coût des matières premières augmente fortement. Tous les secteurs d’activités sont touchés, notamment celui de l’automobile. Ce dernier souhaite donc réduire ses coûts et c’est la majorité des entreprises du décolletage qui est concernée. La concurrence est à son maximum et les exigences de plus en plus grandes. Pour couronner le tout, certains clients déposent le bilan, c’est donc une partie des revenus qui s’envole. De plus les décolleteurs voient leurs marges réduites du fait de l’augmentation du prix des métaux.
Afin de faire face à cette nouvelle donne (toujours plus de précision, toujours moins cher), les décolleteurs introduisent dans leurs ateliers des machines à commandes numériques. Leur usage se développe fortement, et cela ouvre un marché prometteur pour les fabricants internationaux (Suisses, Japonais, Allemands, Anglais) qui sont majoritaires dans la vallée de l’Arve. Ce nouveau cosmopolitisme se voit au SIMODEC, puisque de plus en plus d’exposants viennent de l’étranger.
Le secteur du décolletage s’internationalise et commence à s’implanter hors de France dans les années 80. Certains patrons décident de s’installer à l’étranger pour se rapprocher de leurs principaux donneurs d’ordres. Cette opération a pour but de faciliter la communication et de faire des économies de transport. Cette stratégie ne les empêchera pas de subir la crise du début des années 90, où les commandes sont au plus bas et les pressions sur les prix au plus haut. Il faut attendre 1995 pour observer un redressement, mais le paysage de la profession est bouleversé. Les entreprises n’ont pas d’autres choix que de se développer pour conquérir de nouveaux marchés, ou alors de rester très familiales afin d’être les plus réactives possibles.
Récemment, nous avons observé une mutation de la profession avec la perte de contrôle de grandes entreprises, rachetées par des capitaux étrangers. C’est un profond changement qui n’est pas sans risque et qui menace de faire perdre son âme au décolletage de la vallée de l’Arve.