Spécial élection présidentielle semaine 11
La nuit des morts-vivants industriels ». Tel est le titre choc du point de vue publié par deux professeurs de finance et d'économie dans Les Echos du 7 mars. Si on les croit, ce qui n'est pas obligatoire, il y a du (très gros) souci à se faire : « 'Réindustrialisation', 'France des usines' : ces slogans sont aujourd'hui le dénominateur commun des candidats à l'élection présidentielle. Des incantations qui flattent le volontarisme politique et chantent la nostalgie des années Pompidou. Mais à une époque où le bien-fondé de chaque euro de dépense publique doit être scruté de près, il convient de distinguer le fantasme du réel.
Commençons par un double constat. Premièrement, la crise actuelle conclut un basculement de l'industrie manufacturière vers des activités plus dématérialisées (...). Le 'zéro capital physique' ne doit pas être vu comme une pathologie française ; c'est une évolution de fond. Bien que les politiques continuent d'entretenir la nostalgie des cheminées qui fument, les industriels l'ont, eux, bien compris : il s'agit moins de produire, que de faire produire, de savoir vendre le produit et surtout les services qui l'accompagnent. Il faut donc accompagner et non combattre le basculement de l'économie française dans l'immatériel.
Deuxième constat : les gains de productivité du secteur manufacturier, qui ont fait l'euphorie des décennies d'après-guerre, ne sont plus là (...). Depuis les années 1970, le rythme de l'innovation technologique s'est fortement ralenti : l'ère des innovations 'faciles' (...) est terminée, tout est maintenant concentré dans l'informatique et l'Internet. Or les innovations liées à Internet (Google, Facebook, Ebay) créent très peu d'emplois, même si elles changent la vie des gens.
Comment définir les axes d'une politique industrielle moderne ? Une première piste consiste à mieux organiser le développement économique des secteurs non-marchands. L'éducation, la santé, les transports sont des secteurs qui vont prendre une place plus importante dans l'emploi. Leur logique économique s'appréhende de manière plus complexe (...).
Un second enjeu de la politique industrielle de demain est sa capacité de résistance au lobbying et à la capture : les grandes entreprises industrielles, souvent épaulées par leurs ministères de tutelle, militent pour des dispositifs de soutien à leur activité (crédit impôt-recherche, barrières anti-concurrentielles, soutien à l'emploi en France). Elles sont là dans leur rôle mais les politiques doivent prendre conscience que leurs intérêts ne coïncident pas forcément avec ceux du pays : les emplois de demain sont dans l'informatique, le tourisme, la logistique, et non dans la sidérurgie ou l'automobile. Pour éviter le clientélisme et la capture, il est crucial que tout dispositif de politique industrielle soit 'biodégradable' : certaines idées fonctionneront, d'autres pas. L'action publique en matière industrielle comme ailleurs doit pouvoir expérimenter sans créer des intérêts particuliers irréversibles. Il faut donc, pour chaque nouvelle initiative mettant en jeu des fonds publics, créer les mécanismes qui la débrancheront automatiquement en cas d'échec. L'administration doit pour cela utiliser l'évaluation et l'expertise indépendante, moins inféodée aux intérêts en place.
Il est plus que jamais contre-productif d'opposer les services à l'industrie. On brouille les choix des générations futures en leur faisant croire au retour de l'ingénieur en blouse bleue. On aiguille aussi la politique industrielle vers des secteurs obsolètes, au risque de transformer notre économie en un cimetière peuplé de zombies industriels ».
Le candidat socialiste François Hollande vient de publier son livre-programme « Changer de destin ». UsineNouvelle.com du 2 mars s'est arrêté sur les nombreuses références à l'industrie, parmi des propositions qui, selon la newsletter, manquent parfois de clarté.
Pour M. Hollande, « le redressement financier dépend aussi du redressement économique. Et pour moi, l'économie, même si tous les secteurs comptent, c'est d'abord l'industrie ». Il souhaite donc améliorer le sort des ouvriers : « je concentrerai les effectifs et les investissements publics sur l'école, la sécurité, la recherche, l'industrie et la technologie (...). A la différence des conservateurs, je veillerai à ce que l'effort industriel et technologique soit appuyé sur l'amélioration du sort des ouvriers et des employés et non sur une précarité supplémentaire et une baisse du pouvoir d'achat ». Des mesures qu'il compte lancer via l'ouverture d'une conférence nationale sur les revenus juste après son élection. Car pour lui, ce « n'est pas seulement une affaire de justice sociale, pas plus que la mise en œuvre prioritaire d'une vaste réforme fiscale plus redistributive. Il en va aussi de la santé de l'économie et de l'emploi ».
Autre objectif : réhabiliter l'industrie en France. Mal préparé, selon lui, à la mondialisation, le pays a connu dix ans de désindustrialisation continue où l'industrie a souffert d'un procès d'intention : « l'oubli de la culture technique, la condescendance à l'égard des ingénieurs qu'on jugeait dépassés par la finance et le marketing, l'effacement de la machine comme objet de modernité ont relégué l'industrie au bas de la hiérarchie des valeurs culturelles. Sans cesse présentée comme un monde dépassé, elle est devenue le parent pauvre de la pensée économique française ». C'est donc le rôle de la gauche de la réhabiliter, même s'il reconnaît que la France est désavantagée en matière de coûts de production : « le financement de notre protection sociale sur le seul travail est un handicap. Je sais aussi que l'excessive rigidité peut favoriser le chômage (...). Mais qui peut croire qu'une baisse continue des coûts salariaux - faut-il s'aligner sur la Chine, sur l'Inde - serait le remède à notre mal ? ». Il préconise donc d'accroître, dans la valeur ajoutée industrielle, la part de l'innovation, de la transformation et de la qualification : « l'Allemagne ne paie pas ses ouvriers plus mal que la France. C'est la culture industrielle, la spécialisation, la qualité qui font la différence ». Sa politique de réindustrialisation conjuguerait donc réhabilitation du travail manuel, promotion du savoir technique, apprentissage, ouverture de l'école et de l'université sur l'industrie (sans préciser comment), aide aux PME en développement et instauration de nouveaux mécanismes de financement « assis sur la Banque publique régionale d'investissement que je créerai dès mon élection ». Des mesures coûteuses et non chiffrées.
Pourfendeur des « excès du libre-échange », il se dit néanmoins résolument hostile au protectionnisme qui « renchérirait les prix et casserait à terme la dynamique du commerce mondial », lui préférant un « patriotisme industriel » avec des règles du jeu à respecter pour introduire un produit en Europe : le respect des normes sociales et environnementales dans la fabrication des produits et une concurrence loyale. Il appelle à « un pacte productif qui mobilise toutes les forces : entreprises, partenaires sociaux, Etat et collectivités locales, sans oublier le secteur financier ».
En matière d'environnement, il préconise d'investir dans un mode de vie protecteur pour la planète pour relancer la croissance, en misant notamment sur une modernisation des sources d'énergie. Mais, « à la différence des Verts, je ne crois pas qu'il soit sage et réaliste de programmer ce qu'il est convenu d'appeler "la sortie du nucléaire". Nous ne pouvons pas arrêter brutalement les centrales actuelles, sauf à menacer l'emploi et à compromettre l'indépendance énergétique du pays ». Pas question non plus d'interrompre la construction de l'EPR de Flamanville alors que plusieurs milliards ont déjà été dépensés, même si « je me suis engagé à ramener à 50% de la production d'électricité la part produite par le nucléaire avant 2025 et à développer en proportion les énergies renouvelables ». L'ouvrage ne fait pas allusion à l'annonce par l'Inde de l'achat des Rafales, ni au transfert de technologies l'accompagnant, tant décrié par Arnaud Montebourg.
M. Hollande a par ailleurs affirmé mercredi sur Europe 1 qu'il ne reviendrait pas sur la suppression de la taxe professionnelle (UsineNouvelle.com du 07/03).
« Nous allons créer un impôt sur les bénéfices minimum pour les grands groupes en France », a déclaré Nicolas Sarkozy au cours de l'émission à laquelle il participait sur France 2 mardi soir. Il attend « 2 à 3 milliards d'euros de recettes » annuelles de cette mesure (UsineNouvelle.com du 07/03).
Edité par l'équipe du MIDEST