«Avec une baisse d’activité de 20%, on peut s’en sortir, mais à -50%, personne ne peut le faire.» Ce constat, c’est un patron décolleteur d’une entreprise de 60 salariés, comme il en existe des dizaines dans la vallée de l’Arve, qui le dresse. Comme nombre de ses collègues, il a repris l’entreprise familiale et est confronté, aujourd’hui, à la pire crise économique de l’histoire du décolletage.
Avec des commandes en chute libre depuis près de cinq mois, l’activité de son entreprise (qui dépend à 70% de l’automobile) s’est écroulée et les licenciements deviennent inévitables: «Pour l’instant, on nous a promis beaucoup de choses, mais ce ne sont que des « mesurettes ». La seule chose qui pourrait nous sauver, c’est une relance de l’économie, mais personne ne peut la décréter. On a besoin de commandes pour travailler.» Sinon, le nombre de demandeurs d’emploi continuera de grimper.
Depuis décembre, la quasi-totalité des moyennes et grandes entreprises de décolletage ont mis en place des mesures de chômage partiel, mais ça ne suffit plus. Les annonces de licenciements groupés (moins de dix salariés) se multiplient dans la vallée de l’Arve et chaque jour apporte son lot de nouveaux noms. Mais ça ne s’arrête pas là. Plusieurs entreprises ont lancé de véritables plans sociaux concernant plusieurs dizaines de salariés.
Le mouvement devrait s’accélérer entre mars et mai
À EMT 74, à Bonneville, ce sont 56 postes (production et administration) qui seront supprimés dans le cadre d’une réorganisation, mais 13 nouveaux emplois devraient être créés, avec une préférence pour le reclassement interne, soit une diminution des effectifs de 43 personnes. Chez Cartier Technologies, à Cluses, 31 postes seront supprimés. Des chiffres confirmés par les directions. On parle également de 25 licenciements chez Thévenet Technologies, à Magland et d’une quarantaine à Konsberg, à Cluses. Les dirigeants de ces deux entreprises n’étaient pas joignables hier après-midi. Une procédure serait également en cours à Perrotton à Bonneville, mais la direction de l’entreprise n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet...
Bref, en additionnant les quelques chiffres en notre possession, on arrive à près de 200 licenciements en cours, sans compter les ruptures de contrats, le chômage partiel et les intérims qui ont totalement disparu des ateliers. Et la situation ne semble pas prête à s’améliorer: «La production à outrance, c’est fini», poursuit notre patron «on va réduire la voilure et recentrer notre production en journée.» Ce qui n’évitera pas les licenciements.
À cause des délais de paiements (passés de 90 à 60 jours en janvier), la baisse d’activité de décembre va se répercuter en mars, d’où une hausse mécanique des licenciements et, sans doute, des dépôts de bilan dans les prochains mois.
Licenciements
Réduire la voilure pour survivre à la crise. Désormais, c’est le credo des patrons de la vallée. Pour certains, le chômage partiel ou la réduction des heures de travail (la plupart des entreprises fonctionnaient à 39h et ont donc la possibilité de descendre à 35h hebdomadaire pour éviter de toucher à la masse salariale) ne suffisent plus. Restent les licenciements. Au-delà de dix licenciements, on parle de plan social économique et l’entreprise doit demander l’accord de la direction départementale du travail. En dessous de dix, elle n’a pas cette contrainte, d’où la multiplication actuelle de ce type de mesures. Enfin, pour éviter de se faire « remarquer » (l’aide financière de l’État sera attribuée en priorité aux entreprises qui ne licencient pas), certaines sociétés poussent leurs salariés à accepter une « rupture amiable » de leur contrat de travail.